Deux facteurs limitent l’utilisation des médicaments : l’inefficacité et la toxicité. Les études longues et sophistiquées, effectuées pendant le développement des médicaments, aboutissent à la définition d’indications thérapeutiques, de doses à administrer et de conditions d’utilisation standard. Ainsi, des recommandations sont fournies aux acteurs thérapeutiques (médecins utilisateurs, pharmaciens garants de la bonne utilisation des médicaments) de façon globale, applicables à l’ensemble de la population. Il est de plus en plus évident que chaque individu réagit différemment à l’administration d’un médicament en fonction de son « terrain » propre (facteurs génétiques et physiopathologiques) et de son environnement (alimentation, consommation tabagique, prise d’autres médicaments…). La définition et la prise en compte de ces facteurs permettront d’améliorer l’efficacité des médicaments et de diminuer les effets secondaires délétères. Entre l’administration d’un médicament et la réponse du patient (toxicité ou efficacité), plusieurs étapes peuvent modifier radicalement l’effet final.
- Le médicament doit d’abord pénétrer dans l’organisme puis en ressortir, généralement sous forme de métabolites plus hydrophiles. Les protéines de transport et les enzymes du métabolisme des médicaments (EMM) ont en charge l’absorption, la distribution, le métabolisme et l’élimination (ADME) des médicaments, et déterminent leurs concentrations plasmatiques et tissulaires ainsi que celles de leurs métabolites : ces concentrations sont en relation avec l’effet.
- Le médicament et/ou ses métabolites interagissent ensuite avec la cible : inhibition d’enzymes, modification covalente de protéines, expression de gènes, interaction avec l’ADN pour former des adduits. Cette interaction est à l’origine de la réponse qui peut être ensuite modulée.
- En effet, les cellules, les organes ou l’organisme entier réagissent et modifient la réponse : par exemple, le système immunitaire peut être responsable d’une réaction toxique, la réparation des adduits de l’ADN peut éviter la formation d’une mutation.
L’expression des enzymes et des protéines qui interviennent dans les processus décrits ci-dessus est extrêmement variable en fonction de facteurs génétiques, environnementaux ou physiopathologiques, ce qui entraîne la variabilité des effets médicamenteux. Les variations d’origine génétique font l’objet de la pharmacogénétique et de nombreux exemples montrent l’importance des facteurs génétiques dans la réponse aux médicaments [1].
- Le déficit en thiopurine-méthyl-transférase explique les myélotoxicités observées lors du traitement par l’azathioprine ou la 6-mercaptopurine [2]. Le déficit en UDGglucosyl transférase (UGT1A1), responsable de la maladie de Gilbert, augmente le risque de toxicité intestinale de l’irinotécan [3].
- Les mutations du gène p53 dans les tumeurs modifient la réponse au traitement et en particulier à la chimiothérapie [4], les mutations du gène de l’enzyme de conversion modifient la réponse aux inhibiteurs de cette enzyme et celles du gène des canaux potassiques peuvent être responsables de syndrome du QT long, d’arythmie ou de torsades de pointes [1].
- Les déficits en enzymes de la réparation rencontrés dans certains cancers modifient la réponse aux anticancéreux. Les réponses immunitaires sont également très variables et en particulier très dépendantes des groupes HLA. Ainsi, certaines réactions aux sulfamides sont liées à un haplotype HLA (HLA A30 B13Cw6) [5] tandis que, très récemment, les réactions d’hypersensibilité observées avec l’Abacavir®, un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse du VIH, sont liées à un haplotype HLA (HL-AB5701, DR7, DQ3) [6].
De la même façon, les variations d’origine environnementale peuvent modifier la réponse aux médicaments. Ainsi, de nombreuses interactions médicamenteuses peuvent être expliquées par des effets inhibiteurs ou inducteurs des mécanismes de transport et du métabolisme : la rifampicine, puissant inducteur enzymatique du gène mdr et d’un cytochrome P450 (CYP3A4) modifie la pharmacocinétique de médicaments comme la ciclosporine (→). Le kétoconazole, puissant inhibiteur du CYP3A4 augmente la concentration plasmatique de nombreux substrats de ce cytochrome. La méconnaissance de cetype d’interactions a abouti à des effets toxiques graves et, récemment, au retrait de plusieurs médicaments du marché (terfénadine provoquant des torsades de pointes, par exemple) [7]. Les interactions médicamenteuses peuvent également être d’origine pharmacodynamique par interaction au niveau de la cible.
(→) m/s 2002, n°4, p. 429
Les variations physiopathologiques doivent également être prises en compte et la pharmacologie pédiatrique, par exemple, doit se développer.
L’étude des variations génétiques - la pharmacogénétique - connaît une croissance explosive car elle bénéficie de l’accumulation des connaissances et du développement des techniques. Les industries pharmaceutiques l’incorporent dans leur stratégie de développement et elle s’implante lentement dans les laboratoires de biologie clinique. Certains, comme A. Roses [8], vont jusqu’à prédire qu’un haplotypage systématique permettra dans un premier temps d’associer des haplotypes avec des réponses et que, ultérieurement, ces haplotypes pourront être utilisés pour prédire la réponse aux médicaments puis adapter le traitement et la posologie. Pour l’instant, peu d’exemples concrets viennent à l’appui de cette conception. Il est cependant certain que la recherche de facteurs génétiques améliorera considérablement l’utilisation des médicaments comme cela est déjà établi dans certaines situations (voir ci-dessus). Il faudra que cette recherche d’optimisation de la thérapeutique inclut non seulement l’ensemble des étapes conduisant à la réponse biologique mais également les différents facteurs de variations : génétiques, environnementaux et physiopathologiques. Il sera ainsi possible de prendre en compte l’individu dans le traitement médicamenteux : un médicament pour un individu, dans une situation et à un moment donnés.